RisCom Gaz de Schiste

Le projet en bref

Michel Letté pilote le projet "Gaz de Schiste et controverse socio-technique : étude de l'expertise du risque environnemental et de sa communication en milieu karstique (1989-2014)".

Voir le programme de la journée d'étude associée à ce projet (25 octobre 2014).

RESUME

En écho à une pollution des eaux survenue en 1989 et au conflit environnemental qui s’en est suivi, les habitants du Haut‐Bugey se sont élevés ces dernières années contre la reprise de la prospection pétrolière de leurs territoires. Le conflit a donné lieu à la production de savoirs experts sur l’impact des forages en milieu karstique. Quelle est la nature de ces expertises sur lesquelles les parties prenantes s’appuient pour communiquer et négocier l’absence ou l’évidence du risque que comporteraient ces activités ? L’ambition de l’équipe est de saisir, au plus proche des acteurs et de leurs territoires, les pratiques de légitimation des savoirs constitués en vue d’une acceptation ou du refus des gaz de schiste 25 ans plus tard. L’enquête documente, tant par l’hydrologie des milieux karstiques que par l’histoire de la mise en conflit des pollutions passées, la pluralité d’existence des risques dans ces controverses. Elle porte sur la construction de la vulnérabilité des territoires, elle‐même objets de négociations économiques et sociopolitiques, de confrontations entre parties prenantes aux intérêts contradictoires.

Le partenaire
Le projet en détails
L'équipe
Bibliographie préliminaire
 

Le partenaire

Institut des Sciences de la Communication du CNRS
Le projet est lauréat 2014 des appels à financements du PEPS Risque et communication: Innovation, expertise, controverse (RisCom)

Le projet s'inscrit dans l'axe 2 du PEPS : Les risques entre expertises et controverses, qui couvre :
  • Analyse des formes de l’expertise et des controverses dans des contextes institutionnels et réglementaires divers
  • Études de cas empiriques de situation d’expertise et de controverse
  • Statuts et types d’expertises du risque (experts scientifiques, agences publiques, société civile, expertise et médias, experts du domaine privé, etc.)
  • Temporalités et trajectoires des controverses: dynamiques d’émergence, évènements, médiatisation, processus de clôture

MOTS‐CLÉS

Risque industriel – prévention et gestion des conflits – vulnérabilité des territoires – mobilisations environnementales – controverse sociotechnique – gaz de schiste – expertise – légitimation des savoirs

Le projet en détails


CONTEXTE
Les conflits provoqués localement par l’exploitation des hydrocarbures ont émergé au 20e siècle comme des enjeux majeurs de la politique interne des États. Parmi les foyers de tensions récentes, la perspective d’une exploitation des gaz de schiste en France a provoqué nombre d’entre eux. Le Haut‐Bugey situé aux frontières du Jura et de l’Ain est de ce point de vue un cas d’exception et pionnier. Il est le seul à ce jour à avoir été le lieu d’une pollution avérée suite à des explorations conduites en 1989 et l’objet du premier avis défavorable au renouvellement d’un permis exclusif prononcé en 2014 par un préfet au motif des risques environnementaux. Entre ces deux dates, le conflit a donné lieu au déploiement d’expertises, non seulement de la part des professionnels, et notamment des entreprises exploitantes, des administrateurs de l’intérêt public, du législateur, que de la part des riverains, des organisations écologistes ou de défense de l’environnement, des collectifs d’usagers (agriculteurs, spéléologues, pêcheurs, professionnels du tourisme).

OBJECTIFS
Les injonctions se sont multipliées ces dernières années afin de saisir les processus de co‐construction des savoirs et de leur hybridation, d’examiner la pluralité des modes d’existence des objets impliqués dans les controverses sociotechniques, de dépasser les ordres traditionnels de partage entre nature et culture, et même de faire parler les non‐ humains dans l’arène des débats scientifiques. Elles ont eu pour justification de prendre la mesure des enjeux sociétaux de l’innovation dans ladite économie de la connaissance, tout en considérant la visée démocratique d’une participation des publics aux prises de décision collectives, de favoriser la démarche pro‐active plutôt que la contestation, de susciter l’échange constructif entre les différents agents sociaux et acteurs concernés, bref de promouvoir le consensus citoyen, voire de faire advenir la démocratie participative, technique ou même environnementale. Dans cette perspective, de nombreux outils d’analyse et pratiques de recherche ont été élaborés. Nous proposons de mettre leurs acquis à l’épreuve d’un conflit localisé, en partant d’une controverse sur une période déterminée (1989‐2014) au cours de laquelle la production de savoirs experts sur les sous‐sols karstiques s’avère être un élément déterminant de la légitimation des modes de pensée et d’actions engagées par les agents socio‐économiques et politiques.

Pour ce faire, l’équipe se fixe pour objectif de retracer les trajectoires de l’expertise sur le risque produite par chacune des parties prenantes (industriels, ingénieurs, autorités techniques et administratives, scientifiques, décideurs, publics citoyens et usagers). Partant d’une démarche résolument interdisciplinaire, elle se réfère à des savoirs eux‐mêmes experts, ceux de l’hydrogéologue, de l’historien, du sociologue, de l’écotoxicologue, du politiste. La conduite du projet a par ailleurs pour vocation de se prolonger dans la formation ultérieure d’une équipe plus large en vue d’une extension de la problématique à l’ensemble du territoire national et européen, de solliciter le soutien des agences d’allocation des ressources pour la recherche (AnR, Labex, IDF, IDEX, Europe ...).

MÉTHODE
Le principe est celui de la convergence disciplinaire des analyses sur une controverse d’experts strictement délimitée dans le temps, l’espace et par son objet : la production légitime de savoirs sur le risque auquel soumet(trait) l’exploitation des gaz de schiste aujourd'hui dans un milieu karstique. Quatre espaces sociotechniques et politiques sont explorés, correspondant chacun à un mode particulier de production de l’expertise et de ses usages dans les arènes de négociation pour définir et circonscrire la vulnérabilité des territoires concernés :

Science et technique :
Les milieux karstiques du Haut‐Bugey sont le lieu d’incertitudes quant aux conséquences des activités liées à la fracturation du tréfonds, au dépôt de charges et aux forages sur la circulation des eaux dans un réseau hydrologique complexe. Ils ne sont pour autant pas inconnus des spécialistes, et l’expertise dans ce domaine est ancienne. Elle s’est cependant renouvelée ces dernières années afin de répondre aux besoins de connaissances plus approfondies des sous‐ sols. Cette part de l’enquête est confiée à une hydrogéologue. Elle assurera la synthèse des savoirs connus et des incertitudes à partir tant de sa production personnelle que de la littérature scientifique sur les territoires concernés. Une série d’entretiens et de rencontres avec les spécialistes reconnus la complétera.

Industrie et entreprise :
Les expériences passées conduites par les exploitants pétroliers et la reprise de leurs opérations de prospection ont donné lieu à la production d’une expertise d’action au service de l’entreprise. La plupart des résultats de ces études expertes sont accessibles via divers canaux. Une partie d’entre elles fait l’objet d’une communication en direction de l’administration publique et des riverains. L’enquête consistera dans ce cas à explorer les archives (autant que possible dites d’entreprise), à rassembler la documentation et assurer la synthèse des données produites. Elle sera complétée autant que possible par des entretiens avec les opérateurs anciens et actuels, les responsables de l’entreprise exploitante et professionnels du secteur.

Public citoyen et militant :
La constitution de collectifs de défense des territoires du Haut‐Bugey est récente mais pas sans histoire. Les actions menées 25 ans plus tôt ont laissé des traces, dans les mémoires, dans les archives. Les habitants se sont forgés des figures d’experts de leur environnement et ont produit nombre de savoirs basés sur leurs pratiques de terrain et l’usage de leurs territoires. Des usagers, tels les spéléologues ou certains agriculteurs, ont une connaissance vive des sols et sous‐sols constituant une part non négligeable de l’expertise mobilisée dans les débats sur la vulnérabilité aux forages. L’enquête portera sur la formation de ces savoirs autochtones au plus près des territoires, sur leur diffusion dans la presse et les dossiers de l’administration, et plus récemment dans le cyber espace. Elle s’appuiera sur une série de rencontres et d’entretiens avec les acteurs de la mobilisation locale, mais aussi sur l’analyse de trajectoires de la controverse dans la presse locale.

État et administration :
Les autorités publiques ont été sur ce dossier peu productrices de connaissances mais forcément utilisatrices et avides d’expertise. Elles participent pour une large part de ce processus de légitimation des savoirs en circulation entre les différentes arènes du débat et de la négociation. L’enquête portera sur les traductions de l’application locale des règlements administratifs. Elle analysera la trajectoire de ces expertises produites au cours de cette période, au travers notamment de la consultation des documents en préfecture et autres organismes administratifs, mais aussi d’entretiens avec les responsables en charge de la gestion du dossier.
La distinction des champs de l’expertise est certes pratique d’un point de vue méthodologique et permet de distribuer les rôles de chacun, mais elle comporte nécessairement une part d’artificialité. Les intrications sont importantes, et parfois organiques entre ces différentes sphères d’action. Il n’y pas par exemple forcément de dissociation nette entre des études expertes produite par un service technique de l’État et celles émanant d’une entreprise exploitante, surtout si l’une et l’autre impliquent les mêmes individus, fonctionnaire ou consultant. De même les expertises circulent, sont appropriées et transformées, sont utilisées à charge ou à décharge selon les circonstances et les moments. Le travail de l’équipe consistera justement à restituer les modes d’existence et d’usage de l’expertise dans ce contexte de controverse et de négociation pour la qualification de ces territoires karstiques du point de vue des risques environnementaux.

L'équipe

Dans le laboratoire HT2S
Michel LETTÉ (porteur), chimiste de formation, est maître de conférences en histoire des techniques et de l’environnement au Conservatoire national des arts et métiers, chercheur en histoire des conflits environnementaux, de l’industrie et de l’entreprise. Il a animé ces dernières années un programme de recherches sur l’histoire de la conflictualité environnementale durant l’industrialisation, et publié en 2013 avec Thomas Le Roux Débordements industriels. Environnement, territoire et conflit (18e‐21e siècle) aux Presses universitaires de Rennes. Il assurera la coordination des recherches, la conduite des entretiens « sociaux » auprès des parties prenantes, la consultation et l’exploitation des archives administratives, l’étude de la presse locale, la rédaction des synthèses intermédiaires et du rapport final (2 mois)

Jean‐Claude RUANO‐BORBALAN, professeur au CNAM et directeur du laboratoire HT2S, étudie la production, la diffusion, la médiation des savoirs et des cultures scientifiques et techniques. Ses travaux portent sur l’analyse de la standardisation historique des formes de la connaissance techno‐scientifique (institutions et formes de la transmission ; digitalisation de l’information, etc.) ; l’étude de la circulation des innovations ou des savoirs (socio‐anthropologie) ; l’étude de l’impact des transformations techno‐scientifiques sur les institutions médiatiques et de connaissance ; etc. Il contribuera aux échanges scientifiques sur la légitimation et la médiation des savoirs experts, à la rédaction des synthèses intermédiaires et du rapport final.
 
Au CNAM et au Département Géoingénierie École des Mines de Nancy
Véronique MERRIEN‐SOUKATCHOFF est hydrogéologue, professeure en Géologie‐Géotechnique au CNAM et à l’École des Mines de Nancy. Chercheure en géo‐ingénierie au GeF‐CNAM, elle est spécialiste de mécanique des roches. Elle assurera la conduite des entretiens « science », les recherches concernant les milieux karstiques, la rédaction des synthèses intermédiaires et du rapport final.

Bibliographie préliminaire au projet


LETTÉ, M. « Du fromage par des forages ! Mémoire et pouvoir des luttes passées face aux exploitants de pétrole et gaz de schiste dans le Haut‐Bugey (1989‐2014) », in Parmentier, I. et Servais, O. Le pouvoir des riverains : résistances, accommodations, illusions ? Histoire et anthropologie des mobilisations citoyennes (18e‐21e s.), Presses universitaires de Namur, 2014

LETTÉ, M. (avec LEROUX, T.) Débordements industriels. Environnement, territoire et conflit (18e‐21e siècle), PUR, 2013.

LETTÉ, M. « Le tournant environnemental de la société industrielle au prisme d’une histoire des débordements et de leurs conflits », Vingtième Siècle, 113, 2012, 142‐154.

LETTÉ, M. « Culture de la rationalisation chez les ingénieurs durant la seconde industrialisation », dans Garçon, A.F et Belhoste, B. (dir.), Les ingénieurs des Mines : cultures, pouvoirs, pratiques, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2012, 33‐50.

LETTÉ, M. « Histoire des débordements industriels à l’origine de conflits autour de l’environnement », Annales des mines (Responsabilité & Environnement), 62, 2011, 43‐50.

MERRIEN‐SOUKATCHOFF, V. « Contribution à la connaissance de la géochimie de la nappe des Grès Inférieurs du Trias » Revue Hydrogéologie, n°3, 1988, 209‐226.

MERRIEN‐SOUKATCHOFF, V. et al. “Stress Measurement by Overcoring at Shallow Depths in a Rock Slope: the Scattering of Input Data and Results”, Rock Mechanics and Rock Engineering, 42 (4), 2009, 585‐609

MERRIEN‐SOUKATCHOFF, V. et al. “Hydrodynamism determination and water resource management of an alluvial aquifer modified by human activities: example of Nice airport area”, Environmental Studies, 8, 2002, 299‐308.

MERRIEN‐SOUKATCHOFF, V. et al., “Analysis of the in situ hydromechanical behavior of a fractured calcareous rock‐mass”, Rock Mechanics and Rock Engineering, 39 (1), 2006, 1‐24.

RUANO‐BORBALAN, J.‐C. La participation/délibération politique au miroir de la théorie des organisations, Publication de l'association Michel Crozier, (à paraître 2014).

RUANO‐BORBALAN, J.‐C. Les voies de la construction des savoirs légitimes, in Jaeger, M. dir., La recherche en travail social, (à paraître 2014).

RUANO‐BORBALAN, J.‐C. "La société du savoir et de la connaissance : utopie, idéologies et réalité" in J.M Barbier, E.Bourgeois et G. Chapelle, 2009.