Production, diffusion, médiation des savoirs et des cultures scientifiques et techniques

Responsable : Jean Claude Ruano-Borbalan

L’une des orientations prioritaires de recherche du laboratoire HT2S s’articule autour de l’hypothèse suivante : la technique et la place qu’elle occupe dans la société doivent être appréhendées en liaison consubstantielle avec les systèmes globaux de production et de communication des connaissances, parmi eux, les institutions de recherche, de formation ou de médiation. Le laboratoire HT2S du Cnam, par son ancrage dans le principal organisme français de formation permanente, par son lien avec le musée des Arts et Métiers défend l’orientation selon laquelle la recherche en histoire des techniques et autour de l’innovation technologique doit s’interroger sur les modèles de production, de circulation et de réception des savoirs et cultures techniques et scientifiques, sur les imaginaires et les croyances ou les craintes sociales correspondantes ; une démarche qui explique notre insertion dans le labex H.A.S.T.E.C.
Cette approche prioritaire, bien ancrée dans l’historiographie contemporaine et dans les sciences sociales, recoupe les travaux d’histoire économique et industrielle menés par ailleurs au sein du laboratoire : notamment les réflexions autour du développement industriel, et des interrogations sur les formes institutionnelles ou organisationnelles encadrant ou accompagnant les politiques techniques et scientifiques. Si la posture forte des SHS francophones puise prioritairement dans une vision philosophique de la connaissance et des sciences –celle-ci fortement emprunte d’une vision constructiviste ou critique-, au plan international le courant institutionnaliste s’avère en revanche d’une vigueur exceptionnelle en matière d’histoire économique. Cette approche «institutionnaliste» particulièrement présente dans les études comparatives concernant le développement associant la technique, la science et l’économie dans la modernité occidentale ainsi que dans ses impacts mondiaux, intègre le rôle des « visions du monde» et autres conceptions ou idéologies, mais privilégie également le rôle des contraintes économiques, politiques ou juridiques.

Deux constats s’imposent aux recherches inscrites dans cette démarche :

Premièrement, la réflexion sur les technologies et les techniques en société suppose aujourd’hui une appréciation conjointe des outils et des institutions sociétales ou mécanismes de communication/diffusion des connaissances, dont d’ailleurs elles sont un fondement constitutif.

Deuxièmement, on peut estimer aujourd’hui que les bouleversements les plus importants dans le domaine de la «culture ou des savoirs scientifiques et techniques» ont porté et portent sur les fondements de la légitimation des savoirs, tant au plan des institutions que des formes de la connaissance ; leur analyse doit donc être croisée avec celle de la transformation des «régimes dominants de la production scientifique». De ce point de vue, l’un des objets majeurs d’étude est constitué par les doctrines implicites et les justifications avancées dans la «médiation scientifique et technique» ainsi que dans ses discours.

Thèmes de recherche :

Plusieurs leviers sont utilisés dans cette analyse. Dans une approche d’histoire de la connaissance et des savoirs techniques, Loic Petitgirard développe une interrogation autour de la question des mutations de l’instrumentation, celle de l’évaluation technique, celle enfin du passage progressif à l’ère numérique.

L’instrumentation et l’évaluation constituent en effet de notre point de vue, un ancrage essentiel de l’analyse, ainsi que les premiers jalons susceptibles d’interroger à la fois la production des savoirs -grâce aux instruments et dispositifs d’évaluation- la diffusion et la médiation par les instruments. L’approche englobe donc l’instrumentation partie prenante de toutes nos activités humaines (de la recherche scientifique à la production industrielle, culturelle, artistique), l’évaluation et ses mutations dans les sciences de gestion, économie et SHS en général. Elle s’étend en direction d’une socio-économie de la culture à l’ère digitale (digital culture, médias et systèmes techniques) de même qu’à l’analyse des pratiques des communautés scientifiques et à l’archéologie des savoirs.
Les réflexions s’appuient et sont nourries, en interne, par les riches collections du Musée dans le domaine de l’instrumentation, et par une enquête sur l’histoire de l’institution Cnam, du fait de son implication dans le système national de métrologie, à travers le développement de l’Institut national de métrologie. L’analyse, à la fois historique, sociologique et épistémologique, de ces systèmes se focalise en particulier sur l’impact des mutations numériques en cours ; interrogeant ainsi les processus de construction de connaissance dans le cadre numérique, leur légitimation, les transformations des représentations associées et le rôle des institutions dans ce grand bouleversement numérique.

Cette orientation sur les conditions et formes de la production des connaissances est renforcée par une réflexion sur d’une part, les erreurs scientifiques (et les interrogations adjacentes sur les formes induites de production des savoirs) que mène Girolamo Ramunni, et d’autre part, sur les analyses des formes de la médiation et de la connaissance : Histoire des savoirs issus des sciences sociales, notamment des disciplines universitaires (philosophie des sciences et de la technique, histoire des sciences et des techniques) et surtout des recherches sur la médiation technique et scientifique, notamment l’analyse -menée Jean Claude Ruano-Borbalan- des difficultés d’articulation entre les discours techno-scientifiques et les formes de la culture commune et/ou scolaire.

Girolamo Ramunni et Jean Claude Ruano-Borbalan tiennent par ailleurs un séminaire de recherche centré sur l’analyse des mutations des connaissances et réalités techno-scientifiques dans des réflexions comparatives de deux ordres : d’une part la réflexion en longue durée sur la production des savoirs scientifiques et techniques ; d’autre part celle relative à la réalité des formes de production et de légitimation des connaissances dans les sociétés contemporaines, particulièrement au regard des formes de gestion et d’administration de l’innovation scientifique et technique.

Enfin, parmi ces vecteurs de diffusion des connaissances, de médiation, et de formation des acteurs, le Cnam et son Musée des Arts et métiers seront au premier rang de nos préoccupations. L’un des objectifs de notre recherche sera consacré à leur étude historique, comme objets privilégiés d’observation de la tension entre production technique et scientifique et production de savoirs, «académique» ou «scolaire»: le Cnam, comme lieu d’enseignement de la technique, lieu de diffusion de la culture scientifique et technique, lieu de développement de l’innovation technique, depuis son origine. Mentionnons à cet égard, plusieurs chantiers en cours auxquels le laboratoire apporte sa contribution:
- un dictionnaire des professeurs du Cnam, co-rédigé par Claudine Fontanon (Centre Koyré-EHESS/ chercheur associé au laboratoire);
- une histoire du Cnam, par Alain Mercier, chercheur associé au laboratoire, rattaché au Musée des Arts et métiers. Le tome premier est publié (automne 2012) ; deux tomes à venir, dont le dernier prévu pour 2018.
De ce point de vue également, les liens entretenus par le laboratoire, avec Universcience ou avec d’autres acteurs de la CST ou de l’IST, constituent évidemment autant d’autres supports au développement de nos propres interrogations.